Les 6 éléments (2011-2015)

Partageant une même attention au détail en photographie et brouillant souvent la notion d’échelle afin d’ouvrir l’imaginaire sur une autre dimension du réel, le regard photographique de Xavier Noël entretenait une proximité certaine avec le mien.

Nous avons donc pensé qu’il serait intéressant d’explorer ensemble le thème des 6 éléments consistant à confronter et marier les conceptions grecque et chinoise.
Nous remercions la médiathèque de La Chevrolière, Hélène et Dominique Poisot d’Arteva, ainsi que Philippe Guillet du Muséum, de s’être intéressés à ce travail.

FEU – L’Alchimiste, Bernard Neau

Les 6 éléments (2011-2015)

Introduction

Associer les éléments grecs et chinois dans la rencontre féconde de leurs confluences et différences fut pour nous un travail exaltant. Pendant des siècles, les éléments servirent de modélisation pour les Anciens occidentaux et orientaux à travers leurs mythes et cosmogonies, leur conception de l’astrologie et de la nature, de la physique comme de la médecine, si bien que leur dimension symbolique est restée ancrée au plus profond de notre imaginaire.
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Les 6 éléments

L’observation de la nature amena les Grecs à trouver des principes qui seraient « la racine de toute chose » (Empédocle, VI° av. J.-C.). Ils s’accordèrent pour fonder leur cosmologie sur la base de quatre éléments (στοιχεῖα, stoïkheïa : air, eau, feu, terre) auxquels ils attribuèrent quatre propriétés (le froid, le chaud, le sec, l’humide), ce qui leur permettait de répertorier et classifier toutes les propriétés de l’humain, de la nature et de l’univers. Plus tard, ils leur adjoignirent un cinquième élément, l’éther (la « quinte essence » d’Aristote) – substrat des corps célestes, base du feu et de l’air – dans lequel baignait le cosmos (κόσμος, monde ordonné par opposition au χάος, chaos). Pour les Grecs les plus anciens, les quatre éléments sont contenus dans le cortex, qui est le reflet en miniature du cosmos. Ils classaient les êtres vivants en quatre règnes naturels : humain, animal, végétal et minéral (les pierres furent assimilées à des êtres vivants jusqu’au Moyen Âge). Leurs médecins pensaient que le corps était commandé par quatre humeurs correspondant à chacune des propriétés (la bile, le sang, le flegme, la bile noire ou mélancolie, qui influent sur notre tempérament) – la maladie résultant d’un déséquilibre interne entre les quatre éléments.

Cet effort de rationalisation du monde et de la matière en particulier est principalement une combinatoire symbolique – commune aux philosophes, savants et poètes – ouvrant tout un jeu de correspondances tant sur la compréhension du réel que sur l’imaginaire. Avant de devenir une théorie explicative du monde, les éléments seraient issus d’un couple d’opposés dynamiques constitué de deux qualités premières : actif et passif, comparable en cela aux Yin et Yang chinois.
Cette classification des constituants de la nature resta en vigueur jusqu’à la fin du XVIII° siècle et la rupture théorique de Lavoisier ; l’éther et ses variantes n’étant définitivement abandonné par les physiciens qu’à la toute fin du XIX°.

Quant aux Chinois, ce fut aussi par l’observation méticuleuse de la nature – en ressentant également le besoin d’harmoniser le vivant et l’ordre cosmique –, qu’ils développèrent (au 2ème millénaire avant notre ère) la théorie des cinq « éléments » (ou « cinq phases », 五行 – wǔ xíng). Mais il s’agit pour eux d’ « agents » ou « vecteurs », de polarités attractives entrant par alternance dans des relations d’opposition-corrélation. Ils les concevaient comme des modalités actives du Yin (féminin) et du Yang  (masculin) dans la succession des périodes de mouvement et de repos – le bois et le métal s’ajoutant aux « agents » de l’eau, du feu et de la terre. Leurs traités de médecine démontrent que les métaux étendent les propriétés de l’eau, d’où leur utilisation en homéopathie au même titre que les essences arboricoles curatives. L’acupuncteur cherche, comme le médecin traditionnel, à guérir son patient en rétablissant le bon fonctionnement des circuits d’énergie corporelle (et autrefois, il ne se faisait payer que s’il y parvenait). À chaque élément correspond une saison, un point de l’espace, une couleur, une saveur, un minéral, un animal, une plante, une planète, un viscère… au point que tout ce qui se trouve sur la Terre et dans le Ciel peut être sous la dépendance d’un élément.

L’air n’a pas lieu d’être dans cette classification car les cinq  éléments (ou « agents ») tirent leur souffle énergétique du Qì (气), « Souffle » primordial, précosmique et cosmique qui, en dynamisant le « vide » riche de toutes les potentialités, constitue et anime toute chose – la notion grecque d’atomes étant étrangère à leur physique.

Pour les courants de pensée des anciens Chinois (taoïsme surtout, mais aussi bouddhisme chan), selon les principes sexués indissociables du Yin et du Yang, rien n’est statique dans la nature ni enclos dans une catégorie de « l’être ». Tout est processus, évolue, fait retour, se transforme en permanence – les éléments sont interdépendants et chacun nourrit celui qui suit sous forme de cycle. Le sage est donc celui qui a su trouver l’équilibre dans le jeu subtil des cinq éléments ou « agents » afin de ne pas rompre l’harmonie entre l’univers et lui.

Nous avons été influencés par cette conception chinoise du processus continu d’interpénétration des forces énergétiques de la nature en suggérant souvent un élément par la médiation d’un autre. Ainsi, assumant notre libre adaptation de cette pensée, avons-nous pu être un peu « Chinois » à notre façon…

Et il faut rendre grâce à l’épistémologue Gaston Bachelard pour avoir bien compris en quoi cette conception préscientifique des éléments fondamentaux (les grecs pour lui) continuait in fine à ouvrir à l’infini l’horizon de notre imaginaire poétique, matériel et psychique. Poétique de l’espace, de la rêverie – on ne pouvait trouver plus justes titres pour évoquer notre propre recherche. Car si le rêve et le réel entretiennent avec les éléments un même rapport dynamique et symétrique, étrangement le rêve nous est plus tangible, nous ramenant toujours – par un biais ou un autre – à la nature.

« Les grands rêveurs ne choisissent pas », disait-il. Nous ajouterons qu’ils sont choisis par ce qui les appelle. Ils savent trouver dans l’impermanence minérale toute la mobilité rêveuse d’un miroir, et si les grands cercles de l’onde sont pour leurs yeux du ciel qui voyage, ils savent en recréer les formes depuis leurs projections mentales.

Nous avons inscrit notre regard en cette antique résonance de deux mondes et retenu quelques-unes de leurs leçons pour nos rêveries croisées en quête d’images du réel. Nous brouillons assez spontanément les notions d’échelle puisque ces deux traditions nous ont appris que le très petit, le plus menu détail, renvoie à des images de l’infiniment grand où toute une dimension de ce qui est proposé au regard recèle une part d’invisible. Et parce que dans une méduse, une pierre ou un pavé de verre – suivant l’esprit du shānshuĭ (山水 – montagne et eau, paysage littéraire et pictural) et l’idée du microcosme grec –, l’œil peut découvrir un micropaysage qui est un continuum subtil de correspondances entre des objets apparemment étrangers l’un à l’autre (tout étant potentiellement autre chose), ainsi qu’un condensé d’espace-temps ouvrant sur une autre lecture que celle de l’objet représenté.

Malgré des principes cosmogoniques et philosophiques différents, les anciens Grecs et Chinois fondaient donc leur conception du monde sur l’efficience de la nature. Ils nous apprennent par là que TOUT – du monde et de nous – est lié, relié à quelque chose de proche ou de lointain, et que si ce principe n’est pas respecté, la marche du monde ne peut aller que de travers.

Textes

Les 6 éléments

Air

Énergétique, spirituel et physique, l’air en sa légèreté n’a de cesse de circuler du nuage à l’océan et unit notre souffle à la respiration du monde…

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Bois

Le bois, c’est l’arbre du monde entier menacé par la folie des hommes – alors, où le trouver ?

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Eau

La Terre comme notre corps vit sous le règne de l’eau. Quand l’Homme cherche la vie dans l’Univers, il espère découvrir sa trace.

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Métal

Pour notre sixième élément, il a bien fallu se prendre au jeu, mais cela a tourné bien vite au casse-tête… chinois.

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Terre

J’entretiens avec la terre une complicité paradoxale faite de souffrances et de joie.

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Autres documents

Les 6 éléments

Les 6 éléments

Photographies de Bernard Neau et Xavier Noël

Les 6 éléments

Autres documents

Catalogue de l'exposition au Muséum de Nantes-Métropole, 2016

Catalogue de l’exposition au Muséum de Nantes-Métropole, 2016

Exposition Les 6 éléments, Arteva, Espace d'art contemporain, Rezé, janvier 2015

Exposition Les 6 éléments, Arteva, Espace d’art contemporain, Rezé, janvier 2015