Air

Énergétique, spirituel et physique, l’air en sa légèreté n’a de cesse de circuler du nuage à l’océan et unit notre souffle à la respiration du monde, d’où le son, le cri, le chant, qui donnent sens à notre aventure.

Le « pneuma » grec est poumon, esprit – inspiration/expiration du corps et du mental participant au grand souffle de la nature. Chez les Grecs les plus anciens, les quatre éléments sont contenus dans le cortex, qui est à l’image du cosmos, et l’air est le vecteur « pneumatique » de ce microscosme cérébral permettant l’échange élémentaire avec le macrocosme.

Les Chinois ne classent pas l’air dans leurs éléments ou « agents ». Cependant, en quête de nos images – avançant dans le regard par sauts métaphoriques avec l’intuition de correspondances inattendues – nous pouvons traduire à notre manière la part aérienne qui se dégage des notions chinoises du « paysage ». Par exemple, quand les rochers des montagnes et des cascades, devenus évasifs sous l’effet du « souffle cosmique », sont nommés « racines de nuages » ; quand nous partageons la perception du feng jing (风 景, «  vent-lumière » ou « lumière du vent ») qui assure le passage entre l’invisible et la diffusion vaporeuse de la visibilité – la clarté fait rayonner le vide, et le vent répand ce que la lumière inonde de sa matière.

Dans les poèmes du bouddhisme chan (mâtiné de taoïsme et précurseur du zen), les nuages (blancs) disent l’action sans but ni ambition, sans peur ni entrave – l’image de l’air représentant le mieux la liberté de l’esprit, le détachement : « attraper le vent au bout des nuages, c’est saisir l’invisible » (Wang Fan-zhi, 590-660).

À l’image de l’éther des anciens grecs, l’air emplit le vide spatial et prend forme de l’infini. Alors comment ne pas évoquer l’oiseau en vol – l’oiseau marin ou l’aigle des montagnes ? Entre air et eau, horizontalité et verticalité, ils planent sur les vagues, ou glissent le long des parois, essaient leur vol dans les espaces vacants, enivrés de liberté au gré des courants et des vents.

L’air est partout, et semble nulle part, dilatant l’espace – ce que nous rappelle Baudelaire privilégiant le parfum qui vague dans l’air, commun à la femme et à la nature, puisqu’ il est le seul à avoir la capacité spirituelle de libérer les autres sens à travers un réseau subtil d’analogies et de correspondances.

L’air est donc le souffle vital qui porte notre espoir en sa traversée protéiforme d’un monde invisible et tangible. Suscitant bien des intermondes ouverts à tous les passages et voyages, cet élément insaisissable et diaphane revêt la forme la plus nébuleuse de notre subjectivité comme de nos plus terrestres rêveries…

Dans de nombreuses langues l’air est masculin, mais peut-il avoir un genre assigné ? Élément-clé d’un vide agissant, il serait le principe de transformation (la respiration même) d’un monde tantôt yin, tantôt yang, et revitaliserait de son souffle le monde environnant, rejoignant ainsi l’antique intuition chinoise.

Il nous fut donc difficile d’envisager (ou de « paysager ») des images de l’air. Quelles propositions présenter qui ne soient clichés attendus et très approximatifs ? Il fallait que ces images deviennent supports de méditation vers autre chose, un aperçu du réel qui puisse ouvrir sur d’autres éléments matériels – l’eau incendiée ne serait plus exactement de l’eau en son évaporation, et la terre se laisserait entrevoir dans l’effacement de sa forme ; l’horizontalité de la vision deviendrait une image ascendante, et la dimension verticale offrirait une dynamique aérienne dans une lumière infiniment expansive…

Aussi, depuis le très concret, pourrait-on induire la part rêvée du verbe imaginer portant toute la charge suggestive et poétique de ce qui ferait signe d’une image envisageable de l’air.

Bernard Neau (texte inédit)