Métal

Le métal soulève pour nous bien des interrogations. Pour notre sixième élément, il a bien fallu se prendre au jeu, mais cela a tourné bien vite au casse-tête… chinois.

Les Grecs n’en firent pas un élément essentiel. Ils l’associaient à la lune (on retrouve la racine « lune » dans le mot) sans doute parce que traversant des phases différentes, elle ne cesse de changer de forme.

Le métal, sous l’action du feu, peut être le moyen d’un perfectionnement. En Chine, où le caractère 金 (jīn) figure des fragments de minerais dans la terre et signifie aussi bien l’or que le métal ordinaire, l’opération alchimique est recherche d’immortalité. La quête de l’alchimiste, qu’il soit chinois ou occidental, ne perdant jamais de vue les correspondances établies dans la conception aussi bien des xíng que des stoïkheïa/elementa, vise à transformer le métal pour en dégager le souffle – la fusion étant une sorte de mort afin d’en extraire « la vertu » ou l’esprit revivifiant. Le Grand Œuvre passe toujours par une phase de destruction qui permet de transmuter les influx métalliques nocifs en énergie positive équilibrant l’existence.

Traceur historique des galaxies, le métal conserve la mémoire du passé de l’univers permettant, par exemple, de différencier les galaxies vivantes (les bleues) des mortes (les rouges). Les astrophysiciens parlent de « strangulation » cosmique – et nous apprenons que des crimes épouvantables se commettraient dans l’Univers autour du métal !

Cet « élément », qu’il soit à l’état naturel brut ou recomposé par l’homme, possède un caractère ambivalent que l’on peut lire dans de lointaines et diverses traditions. Les forgerons (de l’Antiquité, du Moyen Âge, ou Inadăn chez les Touaregs) étaient tenus en suspicion ou à l’écart de la communauté puisqu’ils exerçaient une activité dangereuse (d’ordre infernal), mais ils possédaient un pouvoir et jouaient un rôle social important par les outils qu’ils façonnaient. Ces outils apportaient à la fois la vie et la paix (les outils agricoles et domestiques indispensables) comme la violence et la mort (les armes avec leur efficacité accrue).

Extrait du monde naturel, travaillé par l’homme pour son confort de vie, le métal peut agresser l’humain et la nature suivant la volonté et l’état d’esprit du façonneur. Cette ambivalence dans l’alliage du bien et du pire, nos villes modernes la portent : tours de métal froides et arrogantes, réflexion violente de la lumière sur les surfaces, mais encore objets nécessaires au quotidien, pour l’alimentation, l’utilisation du feu, les conduites du chauffage et l’éclairage.

Certes, beaucoup de nos ponts d’aujourd’hui où le métal est utilisé sauvent l’honneur de l’architecture par leurs prouesses technologiques autant qu’esthétiques. Leur épure, l’élancement de leurs lignes, les harpes des haubans faisant chanter les vents, leur confèrent un côté gracile et aérien que n’ont pas toujours nos vieux ponts de pierre.

Nous faisons référence à l’œuvre de Jules Verne car elle montre bien cette ambiguïté du progrès et de l’industrie humaine que nous vivons au quotidien.

Aussi est-ce avec l’arme de l’ironie que nous avons paré à notre relatif désarroi face au métal, en tout point opposé à l’autre « élément » chinois, le bois, ressenti comme pacifiant, vulnérable, chaleureux, fraternel.

Bernard Neau (texte inédit)