La première fois, il faisait froid…
La première fois, il faisait froid, c’était la fin de l’automne. Je voulais accoster, seul en bateau, sur une île étrangère ; je ne connaissais pas Belle-Île et ce nom m’attirait.
Je débarquai donc à Sauzon. J’y découvris une très grande paix, une très grande clarté. La lueur du matin, douce et lisse sur les reflets de l’eau, lorsque passent les heures et que se modifient les nuances, n’attend plus que le déclin du jour.
Dans le creux de la vallée, entre deux lèvres de verdure, le port miroitait, se multipliait en mille éclats de lumière.
Tout semblait heureux d’exister et m’était déjà familier : la colline à demi-ensommeillée, les vases de l’arrière-port, les maisons roses et bleues, les ruelles escarpées et le phare si humble au terme d’une courte jetée.
Je contournai l’hôtel et me promenai le long du quai ; je remarquai l’extraordinaire variété des nuages.
Je traversai la place où se trouve l’église. Elle se tient comme en retrait au bas d’une colline puisqu’il avait dû être décidé que rien en ce site ne devrait jamais saillir ou trancher.
J’empruntai un chemin escarpé grimpant sur le flanc de l’église, puis j’abordai la rue Saint-Michel où donnent de petits jardins.
Je ne saurais expliquer l’impression exacte qui à cet instant s’empara de moi au cœur de la rue Saint-Michel – je revivais une scène de mon enfance sur les hauteurs d’Alger.
Je me souviens m’être retourné et n’avoir vu qu’un lambeau de mer à travers l’échancrure des toits et des feuillages.
Mais quand je regardai sur ma gauche, quatre magnifiques strelitzias élançaient par-dessus un muret leur grand bec d’oiseau-fleur…
Or ces fleurs je ne les avais vues qu’en Afrique et il était étrange de les retrouver à l’air libre, sous un tel climat, de telles latitudes.
Aujourd’hui, quand je reviens à Sauzon, je refais le même parcours, recherchant – mais en vain – l’émotion qui m’étreignit ce jour-là.
Je n’ai jamais revu mes strelitzias et m’interroge encore sur la réalité de toutes les fleurs de la rue Saint-Michel.