L’arbre de Grand-Village…

Je me souviens encore avoir surpris, près de Grand-Village, la silhouette d’un homme face à un arbre isolé sur l’arête d’un champ, un peu penché sous l’action des vents.

Entre la place qu’occupait la silhouette et l’arbre qu’apparemment elle contemplait, il n’y avait que l’évidence d’un regard qu’accompagnait le mien, pourtant fort éloigné.

Puis l’homme tendit la main pour toucher l’écorce comme si il en attendait un message ; je m’approchai et je vis qu’il fermait les yeux. Je sentis que l’arbre se muait davantage en présence tandis que l’homme se retirait en lui-même, qu’il lui communiquait ainsi le témoignage des forces les plus anciennes, une énergie des plus originelles.

Sans bouger, sans parler, par son toucher faisant le vide, il communiait avec les éléments, participant dans le plus humble abandon à la magie du simple.

Le monde alentour n’existait plus que pour mon propre étonnement – l’arbre solitaire exprimait le sens de l’univers dont l’homme ordonnait la conscience. Et je pensais à cette coutume des îles du Nord consistant pour un père de famille à planter un rameau d’arbre mort devant sa descendance afin de lui transmettre, avec le respect de la nature, la somme de la mémoire ancestrale.

Belle-Île-en-mer, la mémoire étoilée, Bernard Neau, extrait