Les ponts

Sous des ponts nantais coule l’Erdre, et nos amours peut-être.

On passe d’une rive à l’autre dans une approximative impression d’être à Venise, avec beaucoup moins de beauté architecturale, certes, mais avec dégagement visuel, de l’air, des fleurs, de la verdure et une luxuriance d’arbres en plus.

On se demande si, grâce à ces ponts et leurs scansions variées impulsant le rythme du paysage dans le cours terminal de la rivière, un heureux ajustement de diverses temporalités n’a pas permis cette parenthèse uchronique de quais en perré, de pavages anciens plus ou moins disjoints, de techniques mixtes et matériaux divers (pierre, métal, bois et briques) à quoi s’ajoute l’esprit exote (Segalen) d’un Japon repaysé dans la curieusement nommée “Île de Versailles”.

L’étrangeté relève d’un kitsch sympathique, assez organique dans l’ensemble et jusque dans le détail. Par exemple, cet étonnant plafond de briques rouges sous le pont Saint-Mihiel que j’ai découvert un jour alors que je m’étais aventuré à regarder coquinement sous les jupes et tabliers des grands ponts.

Bienveillants protecteurs, les ponts supportent tout : le passage des voitures et des piétons, les personnes en costume vaquant à leurs affaires, les jeunes en goguette à la terrasse des cafés, mais leurs arches silencieuses s’indignent de devoir offrir seules une protection nocturne et fragile aux brisés de la vie près de leur matelas défoncé et de leur chien.

Et l’on peut s’interroger : bâtisseur souvent dévastateur, agressif et arrogant, l’homme “moderne”, en concevant ses ponts, aurait-il ainsi voulu préserver, à travers l’image du passeur de rives, l’idée de continuité humaine ainsi que les idéaux d’ouverture et de fraternité ?

Les haïkus de l’Erdre (2017). Textes et photos : Bernard Neau