Venise (1987-2002)
Venise fut, dès la fin des années 60, le pôle magnétique des rêves et aspirations de Pierre-Jean Buffy. Venise est évoquée dans sa première publication, « Roman » (1976). À chacun de ses voyages, il faisait provision d’images photographiques. En 1987, il édita une première ébauche de sa vision de la cité : « Venise, instants d’un songe ».
Il s’apprêtait à terminer son grand opus vénitien lorsqu’il décéda brutalement sur une route de son île. Je devais en écrire le texte qui prit une autre tournure au vu des circonstances : à la fois tombeau littéraire et carnets d’impressions personnelles sur la cité. Je finis par être embarqué en cette histoire qui devint ainsi un peu la mienne. Les éditeurs contactés me recommandèrent d’apporter à la maquette originale une touche photographique qui leur semblait manquer, ce à quoi je m’employais. Terre de brume en réalisa un beau-livre en 2002.
Je tiens à remercier Lionel Ehrhard et son frère Thierry, Dominique Pinchi, artiste peintre et sculpteur, libraire français de Venise et éditeur de recueils à tirage limité, Myriam Beaujouan, qui m’apportèrent une aide précieuse, ainsi que Philippe Leconte et l’éditeur de « Venise, miroir des signes ».
Basilique San Marco (acqua alta), Bernard Neau
Venise (1987-2002)
Pierre-Jean Buffy : photographe – auteur – éditeur
La sortie l’automne 2002 du livre de photographies accompagnées de textes Venise, miroir des signes signé par Pierre-Jean Buffy et Bernard Neau aux éditions Terre de brume, permet aujourd’hui de revoir les photographies de Pierre-Jean Buffy à titre posthume.
La collaboration longue et fructueuse entre les deux auteurs a permis que ce beau livre relié puisse voir enfin le jour après quatre ans d’efforts de la part de Bernard Neau suite au décès de son ami.
Nous remercions la commissaire d’exposition Marie-France Le Thomas de pouvoir montrer le livre et ce travail photographique sur Venise dans le cadre du 1er festival d’art contemporain de Perros-Guirec.
Galerie
Venise
Venise, Instants d’un songe, Pierre-Jean Buffy, STERNE poésie, 1987
Venise, miroir des signes, Pierre-Jean Buffy & Bernard Neau, Terre de Brume, 2002
Pierre-Jean Buffy – Biographie
Jean-Pierre Buffière devenu Pierre-Jean Buffy (en hommage à la chanteuse amérindienne Buffy Sainte-Marie) : photographe, poète, éditeur, né le 3 avril 1949 à Paris et décédé à Belle-Île-en-mer le 28 août 1997. Infatigable « voyageur de la lenteur au regard vif », il prend la route dès 1966 pour la Hollande en s’essayant comme tant d’autres aux charmes de la belle étoile.
1969 : naissance de sa fille Virginie. Sa carrière professionnelle débute la même année au sein d’une agence de publicité en tant que photographe de mode, travail qui l’ennuie bien vite ! Démarre en 1970 sa période de recherche créative avec des peintures de « silhouettes » (contours dessinés de personnages d’après photographies) puis les formes géométriques grâce à l’influence d’un élève de Vasarely.
1974 : premier voyage à Venise. Fréquente des écrivains et poètes autour de différentes revues : Daniel Giraud, Dominique Labarrière, Bernard Neau, Bernard Bretonnière… Écrit Roman influencé par Marguerite Duras. Se lie d’amitié avec le chanteur-musicien Antoine Tomé. Rencontre Jacques rivette et Bulle Ogier ; il sollicitera leur présence en 1975 pour le film dont il écrit le scénario, Virgule.
1976 : anime le collectif « Rézolution » regroupant des écrivains et artistes en marge des circuits officiels et publie quelques articles dans Libération. Participe avec Jean-Yves Reuzeau au lancement de la revue Jungle. Découvre la même année Belle-Île-en-mer. Création de sa maison d’édition Arguémone.
1978 : préparation avec Jean-Yves Reuzeau, qui vient de fonder les éditions du Castor Astral, d’une anthologie bilingue de poètes anglais (P. Buck, A. Fischer, P. Joris…)
1980 : s’installe à Belle-Île-en-mer. Devient tisserand dans l’atelier d’Anne Hayatte à Sauzon.
1981 : crée les éditions Sterne axées sur la poésie et la photographie. Publie 3 livres : de photographies de Jacques de Givry sur Belle-Île, du poète et peintre Marc Gratas, un recueil de poésie personnel Ailleurs est un jardin, une île avec une postface de Bernard Neau.
1983 : édite L’Orée des yeux, photographies de Paul Morin et textes poétiques de Bernard Neau sur les marais salants de la presqu’île guérandaise.
De 1983 à 1987 ; distance avec Belle-Île. Différents séjours à Guérande auprès de Gustave Tiffoche, en Islande avec Anna, à Venise.
1985 : édite Sahara, photographies de Bernard Descamps et texte de Bernard Neau, livre qui ne sera pas mis en vente suite à des déboires avec l’imprimeur.
1987 : publie chez Sterne poésie un premier livre sur son expérience vénitienne : Venise, instants d’un songe qu’il considère « comme une ébauche ».
1990 : ouvre un atelier-galerie à Belle-Île où il expose ses propres photographies, celles de Jacques de Givry, ses livres et ceux de JDG publications. Naissance de sa deuxième fille, Isol.
1992 : édite Belle-Île-en-mer, la mémoire étoilée avec ses photographies, un texte de Bernard Neau, des dessins de Gérald Musch. Reçoit dans sa galerie d’Envague quelques visites comme François Mitterrand, Françoise Verny, Laurent Terzieff, Klaus Michael Grüber…
1994 : Préparation du deuxième livre sur Venise qui deviendra Venise, miroir des signes. P.-J. Buffy demande à B. Neau de s’associer à cette aventure et d’en écrire le texte. Texte qu’il terminera après la mort de son ami, ajoutant une dizaine de photographies spécifiques de lui à la demande des éditeurs.
1995 : début de la rédaction du récit de son enfance Le chemin des peupliers.
1997 : lance une collection dont le premier titre Belle-Isle reprend le texte du jeune Gustave Flaubert parlant de son voyage sur l’île avec Maxime Du Camp dans Par les champs et par les grèves.
Cette collection qui aurait dû comporter d’autres titres s’est malheureusement interrompue : la grande faucheuse attendait cet homme sur une petite route de Belle-Île-en-mer, en fin de matinée, c’était l’été…
1998 : parution d’un numéro spécial de la revue Signes en hommage à Pierre-Jean Buffy. Y participèrent : Bernard Bretonnière, Lionel Ehrhard, Alain Girard-Daudon, Jacques de Givry, Marc Gratas, Francis Mockel, Paul Morin, Gérald Musch, Bernard Neau, Dominique Pinchi, Jean-Yves Reuzeau, Anne de Seynes, Gustave Tiffoche, Antoine Tomé, Luc Vidal.
Myriam Beaujouan, octobre 2003
Textes
Venise
Venise, miroir des signes…
On est d’abord marin à Venise, puis arpenteur, livré au lacis de l’eau et des venelles. On dérive et il faut découvrir ses amers.
Le labyrinthe de Venise
Le labyrinthe de Venise n’est pas une construction mythique qui mènerait à un centre secret, ni une figure de notre perplexité.
L’eau, à Venise…
Vénus née de la boue ; Venise conquise sur la mer avec la fierté légitime des îles qui se savent précieuses.
La ville tient son unité de sa fragmentation…
La ville tient son unité de sa fragmentation.
Autres documents
Venise
Venise (1987-2002)
Autres documents
Venise, Instants d’un songe, Pierre-Jean Buffy, STERNE poésie, 1987
Coll. « Rapport d’Étape »
Venise à lire
Venise, miroir des signes, Pierre-Jean Buffy & Bernard Neau, Terre de Brume, 2002
Venise, Sur les traces d’une absence, Bernard Neau, Rapport d’Étape, édition limitée à 100 exemplaires, 2002
Les blogs en parlent
Une sélection de blogs ayant repris des textes et des photos se référant à l’ouvrage Venise, miroir des signes.
Sur le blog VENETIAMICIO
Couleurs de Venise : des portes...
Les portes déshéritées, à l’écart des voies commerçantes, convient le regard du promeneur à prolonger des kilomètres de ville mentale.
Portes en déshérence avec leurs craquelures, leurs lézardes, leurs poignées mangées de rouille. Portes rugueuses et de guingois qui sont des âmes ridées, closes sur leur histoire. Les couleurs passées parlent de leur dénuement, les gonds délabrés de ceux qui ont vécu.
Elles ont connu bien des départs, des retours, comme en témoignent ces grandes planches disloquées avec leurs cadenas et loquets cassés, les anneaux ouverts que le temps a libérés de leurs attaches. Ce sont des carcasses laissées à leur nostalgie d’épaves ; après avoir beaucoup travaillé, elles ont mérité un juste repos…
Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Couleurs de Venise : des fenêtres...
» Venise n’est pas encore une ville fantôme où s’effacent des statues oubliées. » Ses habitants vivent à l’abri des persiennes, dans leur boutique ou leur atelier. On les croise sous un sotoportego, sur un pont ; ils vaquent aux diverses occupations d’une existence ordinaire, indifférents à l’étranger qui passe. Et quand les envahisseurs que nous sommes jettent un regard timide jusqu’au fond de leur cour pour tenter de surprendre quelques secrets, ils nous ignorent avec une distance bienveillante.
On les distingue à peine, mais on les sait à nos côtés. Ils sont les intronisateurs discrets, assurant de leur présence la part d’humanité indispensable pour notre solitude. Le chuintement d’une radio, du linge aux fenêtres, des balcons fleuris, un filet de fumée sur les toits – c’est toute une intimité qui nous est proposée… Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Du côté du Campo S.Giustina...
.. La couleur est-elle » le rêve de la lumière » ?
Cette ville n’existe qu’en couleur et l’on peut se demander
si l’ombre n’en est pas le révélateur…
Venise, Miroir des Signes. Bernard Neau
INSPIRATIONS : des marches ... et l'eau !
» Tout se mêle et s’accorde, se prolonge puis se dissipe en un concert d’images et de sons. Nos regards s’habituent à l’ombre qui adoucit – l’eau omniprésente coule en mouvement si lent qu’elle nous apaise. »
Grâce à l’eau, les éléments sont réunis – la ville, la lumière, la nature, le sujet – ils fondent le même instant et portent le même éclat. On ressent une complète sensation d’exister. Tout vibre dans ce paysage : le corps, les arbres, les animaux, les pierres… On peut rester des heures assis au bord de l’eau à contempler les pierres, des feux follets sur les murs, des esquisses fugitives sur les marches de marbre, à jouir de cette vacuité calme, patiente, qui nous est accordée.
Rien n’est fixe, l’énigme est sans demeure. Les routes du rêve rencontrent parfois un objet sur l’onde, souvent ne rencontrent rien, et dans la fuite des apparences nos pensées deviennent plus aériennes, plus impersonnelles. Entre le rêve et la vie éveillée, serais-je celui qui rêve, celui qui est là ? …
L’eau, à Venise, dérange nos certitudes, attise le sentiment de l’exil. Peut-être les choses alentour nous demandent-elles de témoigner de leur présence et de leur effacement ; peut-être notre regard a-t-il fait advenir cet espace entièrement reconstruit offrant au monde la vision qui lui manque, mais demeure cet appel vers autrui, ce désir sans besoin vers un autre visage s’étendant comme une ombre en écho fermé du monde. Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Rio San Francesco de la Vigna
Les quartiers de Venise ont des allures d’éternels dimanches. Perçant la brume, le soleil s’infiltre dans les alvéoles poussiéreuses – paradis des araignées qu’anime le claquement d’ailes des pigeons – et ravive les couleurs des maisons, des bateaux […]
[…] Il suit le filet des ruelles sombres et étroites, débouche enfin sur de l’air, de la lumière : une place, un quai, un pont. Vantaux branlants de maisons voûtées, volets clos, battants entrouverts de dépôts à l’abandon – dans le tissu de l’abandon, béances et fermetures sont de douces ponctuations, et cette pulsation du paysage s’étend circulairement le long de la forme vide et accomplie d’une ville appelée Venise. Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Près du Ponte Chiodo
Seuils crevassés, chambranles fissurés qu’éveille un trait de lumière – que signifie leur mémoire rongée par la tendresse et l’exil ? Surfaces écaillées où la vie perdure dans le demi-sommeil du possible, les tavelures de la ferraille, les graffiti. Profondeurs ancestrales où le hasard et le temps ont tramé pour nos yeux des veines et des sillons infinis de rêveries… Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Atmosphère vénitienne : couleurs et reflets
On retrouve les coloris de la terre avec tout un jeu de gammes, de nuances, et l’on pourrait s’amuser à collectionner ceux de la ville : crépis jaune soleil ou rouge sanguin, rose carné des marbres, volets ombre brûlée, les ocres, les noirs, le blanc d’Istrie et les ors dans la nuit…Mais, hormis le drapé de Vierges en bois, l’oriflamme au lion et aux étoiles, des coques de bateaux, quelques tentures ou paline, le bleu semble avoir été rajouté sur la palette de la cité. Il est vrai que les peintres ont largement compensé cette carence, que le bleu est la couleur de l’ombre, que les gondoles font des efforts, comme la pluie avec ses luisances, dans le gris des pavés – si bien que l’honneur du bleu est sauf.
Chaque pont relie l’espace de pensée à un autre et le transforme en songe, garde les souvenirs d’adieux qui ont voulu se perdre dans l’eau – chacun conservant, dans les croches et les arabesques de ses rambardes, ce qu’il y a de clichés et d’éternité hâtive à travers les serments amoureux.
Les ponts de Venise donnent le tempo à notre pas comme à l’allure des bateaux. Le staccato des diables, des caddies, à chaque marche, contraste avec la nonchalance des promeneurs, l’envol des jupes dans le vent, la flânerie d’hommes solitaires entrés dans de blondes songeries…
Ici, les arbres sont des individus et règnent en princes des jardins…
Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Sur le Site PAPERBLOG
La nuit à Venise
…Il poursuit vers l’Arsenal —salue au passage le buste de Dante, les deux lions tutélaires —, longe de hautes murailles derrière lesquelles la Sérénissime a été délaissée parmi les herbes, les plafonds effondrés, un chaos de madriers et de rebuts métalliques, la gloire vaine des rails rouillés. Il pense que le plus beau monument de cette ville est peut-être la Corderie —une cathédrale du vide, pas assez vaste pour contenir l’âme entière de Venise… Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Un soir a Venise...
…L’emplacement de chaque chose ne se mesure que par les vibrations de l’air, et le soir cette perception est plus forte en ce qu’elle accentue d’un souffle marin. On est chez soi dans ce paysage, cette trame estompée de lueurs et de bruissements. Au coeur de la nuit, les fenêtres ouvrent sur un silence parfait. Et si l’on entend l’écho détaché d’un pas, ce très peu, au contour exactement timbré, en appelle à une partition plus vaste en marge de notre coutimière surdité. Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Couleurs de Venise : des ponts...
Certains ponts ont une personnalité si attachante que le voyageur revenant à Venise retrouve chaque fois un ami : celui-ci, qui n’a pas de parapet, ou cet autre, Ponte San Boldo.Ils accompagnent les barcarolles et sont les yeux des visiteurs qui regardent passer les péniches chargées de fruits ou de fleurs, les barges-poubelles, les pompiers, les ambulances. Ils sont les marques de ce qui n’est plus chiffrable. Comptables de l’infinie répétition de la ville, ils modulent l’avancée et disent l’impossibilité d’élever une demeure sur l’instant. Eux seuls peuvent nous aider à franchir le seuil où commence le rêve du temps, à convertir le bruit confus de nos vies en une absence tranquille, et il nous faut voyager un moment dans l’air avec eux avant de nous laisser ramener à la terre.
Bernard Neau, Venise Miroir des Signes
Sur le blog MES CARNETS VÉNITIENS
Critique de "Venise, Miroir des signes"
Je vous conseille un très beau livre qui propose des photographies originales: Venise, Miroir des signes de Pierre-Jean Buffy et Bernard Neau aux éditions Terre de Brume.
Présentation de l’ouvrage
Ce livre fut pour Pierre-Jean Buffy “l’aventure d’une vie”, une quête spirituelle comme une expérience poétique, une enquête sur lui-même et l’âme intime de Venise à travers ses signes, ses symboles. Pensant que voir c’est apprendre à entendre, il voulait raconter par l’image “une histoire dont Venise est le miroir” : la sienne, la mienne, celle du lecteur. Il avait pris le parti de ne pas représenter directement les humains et les lieux, mais de recueillir sur les murs, les portes, les bordures des canaux, les statues des quais et des ruelles, les traces d’une mémoire collective et ancienne. Hommage amoureux à une ville qui hanta son imaginaire et dont il traversa le rêve en infatigable piéton. Démarche profondément intuitive visant à rassembler, relier, relire, recommencer… Méditation sur l’instant, l’effacement, le silence, la durée. Hymne aux éléments et aux matières par l’attention portée aux choses et au “geste de la pierre et de l’homme” jusque dans les plus petits détails. Alors, le lecteur comprendra que “chaque photo a une histoire”, et j’espère qu’il partagera notre passion commune pour le déchiffrement de cette énigme vénitienne.