En amont de l’oubli (1989-1995)
Suivi de Notes sur En amont de l’oubli (2008-2013)
Au fil du temps, à partir de 1989, j’ai collecté des « venues » comme un herbier de mots, de pensées. Celles les plus marquées par l’étonnement, j’ai senti qu’il ne fallait pas les corriger. Il fallait « entendre » le versant obscur de certaines images sans chercher à y apporter trop de lumière. Il y eut donc des poèmes-éclairs, laissés intacts, à leur état brut, et d’autres qui réclamèrent d’être travaillés. J’ai aimé à me laisser surprendre ; les associations suivaient le fil de la logique intuitive et du hasard (qui, comme on le sait, fait très bien les choses).
Des éléments biographiques sont évidemment présents. Ils apportent de la chair au désossé ; cela évite une épure trop radicale. Habitant provisoire de mes phrases, et laissant l’oubli longuement me travailler, j’ai ainsi tenu un journal de bord de mes états. Je ne peux dire que ce que je sens, ressens, entends, vois ou entrevois – ce par quoi le regard se voit traversé et intériorisé –, à défaut de ce que je suis (ou crois être – identitaire question qui, parvenu à un certain stade de conscience, n’a plus d’intérêt). Et parfois, je me demande si ce qui hante mon regard n’est pas un songe perdu qui n’a pas encore inventé sa mémoire.
J’ai connu des mers calmes et des tempêtes, comme tout un chacun. J’ai une perception météorologique de l’existence : beau temps, dépression, éclaircies. Et je suis toujours en attente de l’éclaircie. J’ai rapporté ce que j’ai vécu dans ma chair, ayant conscience qu’il y a une dimension de la vie qui se tient un peu plus loin que nous. Nous n’arrivons que très rarement où nous voulions arriver et cela s’opère par des détours, ruses et bifurcations, que nous n’attendions pas – il faut se laisser porter par la première note qui ouvrira le chant du possible, et certains jours nous sommes dans l’angoisse de l’avoir perdue.
Avec le temps, ce livre m’est devenu tellement étranger qu’il a fini par me ressembler. Ces poèmes, je crois que les années les ont rendus vierges, en quelque sorte – et ces écrits me sont encore une énigme qu’il faut savoir garder intacte.
Enfin, comment ne pas associer Lionel Ehrhard (1947-2013) et Dominique Labarrière (1948-1991) dont les échanges comme les écrits entretinrent un dialogue étroit avec ce qui s’expérimentait à travers ma propre parole. Que soient remerciés ces défricheurs du rare que furent Jean-Pierre Sintive (Éditions Unes) et Guy Benoit (Mai hors saison) pour avoir aidé à faire connaître, entre autres fortes singularités, les écrits de Dominique.
Sur une photo de Bernard Neau
Dominique Labarrière,La discipline des apparences, Unes,1991
Numéro spécial en hommage à Dominique Labarrière orchestré par Guy Benoit, Mai hors saison, 1994
Dominique Labarrière, Stations avant l’oubli, Mai hors saison, 1996
Dominique Labarrière, Exploration de l’ombre, Unes, 1988
En amont de l’oubli
Poème-journal de bord
(inédit, extraits)
Notes sur En amont de l'oubli
(extraits)