Bois

Le bois, c’est l’arbre du monde entier menacé par la folie des hommes – alors, où le trouver ?

Chez les Grecs où le bois est à la fois matériau et matière du monde (ὕλη, hulè ) – materia prima dans toute sa splendeur lorsque l’arbre ne cesse de rayonner dans l’air et d’étoiler la terre par ses racines ?

Chez les Chinois où il se fait coquin quand il est ébranlement printanier de la manifestation du yang, le début de son ascension, et donc susceptible d’être courbé et redressé ?

Chez Léonard où le corps humain est vu tel un arbre circonscrit dans le cercle de l’espace ? Après tout, notre corps n’est-il pas comme une arborescence mentale, nerveuse, sanguine ?

L’arbre, nous l’aimons solitaire à l’écart de la foule des forêts.

Ici et là, ne s’appelle-t-il pas l’Arbre de Vie, l’Arbre à Palabres, l’Axis mundi – entre terre et ciel, l’arbre-ancêtre rassemblant tous les éléments nourriciers ?

N’est-il pas ce vieillard sage et chenu, l’if des possibles, le hêtre des fumaisons, le charme dont lignage et frondaisons abritent nos promenades, ce platane sur la place gardant le secret de nos conversations avec les cœurs gravés des amoureux, la flamme du cyprès veillant sur les morts, l’olivier qui marque les saisons – et ce pommier, ce figuier, offrant avec ses fruits l’ombrage du jardin… bref, cet individu familier au caractère bien trempé qui a pour nous force de symbole ?

Ou encore sentinelle de l’espace dont les cernes du temps exalte la sève vitale ?

L’arbre est donc le bois qui est l’arbre qui est le bois… mais où l’ai-je rencontré ?

Je l’ai trouvé au bord d’une rivière accroché aux nuages dans l’eau
Je l’ai trouvé en plein soleil infléchissant l’ombre qui le prolonge pour les vivants et les morts
dans une cascade charriant des branchages et des feuilles avec sa longue chevelure d’eau
dans un bassin du jardin japonais de Nantes où des pins immergés jaillissaient d’un poème de Tao Yuan-ming
au printemps abattu par une hache d’hiver dessinant en larges cercles d’or un nid clair de poussières pour l’envol d’un oiseau gris

Je l’ai surpris vermoulu fatigué sur un chemin, encore habité par le visage d’un homme ou d’un dieu en souffrance
et découvert migrant venu d’Afrique, bois de grume sur un quai, dans le souvenir douloureux de la traite
Je l’ai trouvé dans les muséums du monde entier en bois de bout et bois de fil portant les noms magiques de futurs disparus Diospyros ebenum, Dalbergia nigra, Swietania mahagoni…
Je l’ai aimé en chaudes parois des maisons, en chaises et tables à manger, en coques et mâts de bateaux, en bûches dans l’âtre, dans les copeaux de mon travail, dans ceux de mon crayon…

Car l’arbre étend humblement ses racines jusqu’aux nuages pour prolonger notre rêverie. Et l’on sait que cette présence sereine, qui est là pour assurer la nôtre, est celle de l’être fraternel veillant sur nos destins.

Bernard Neau