Bâtiments et péniches
Dans La Forme d’une ville, Julien Gracq jugeait l’architecture de Nantes globalement médiocre : “des immeubles de sous-préfecture”. De fait, les bâtiments le long de l’Erdre ont assez peu de caractère. Mais tout bâtiment reflété dans l’eau, même le plus hideux, se voit métamorphosé par la magie liquide.
L’eau invite les arbres, les péniches, les passants, les voitures, à une recomposition de la forme des bâtiments en plis et déplis baroques et changeants – leurs dessins enluminés se font dansants sous l’action conjuguée du courant, du vent, des nuages. Ce mélange inventif que n’ont pas su réaliser les architectes, l’eau a su le créer avec le patchwork et le glissement métonymique de l’écriture d’un rêve, qui offre une image tout aussi vraie du réel.
On regarde dans l’eau se faire et défaire les immeubles et péniches. Parfois, intervient dans l’image le trait rapide d’un oiseau, un nuage déformant, un bateau brouillant l’onde de son sillage, ou les rames tremblées du tramway sur le quai. Un arbre vient confondre ses branches dans l’image éclatée d’une maison, d’une péniche, d’un passant – et il est le maître de cérémonie des reflets.
Ce que le miroir de l’eau révèle sous le soleil : des fragments éphémères d’un paysage que vient furtivement dynamiser la réflexion des fenêtres mélangée aux éclats de lumière des hublots. Les péniches, sagement alignées le long des quais, apportent à cette peinture mobile les couleurs vives de leurs coques et superstructures. Aucune ne ressemble à sa voisine dans une joyeuse indépendance anarchique des lignes et coloris.
Et lorsque l’Erdre est en partie gelée, les packs de glace accentuent ce libre jeu des métamorphoses aquatiques – au reflet liquide qui a capté un élément du paysage vient se superposer un miroitement sur la glace qui est celui d’un tout autre élément. Alors, l’Erdre devient métamorphique, chatoyante, féerique, dans des lumières hivernales ravivées par la glace.