Sur les murs, des « personnages » …
Sur les murs, des sortes de « personnages » semblent chercher une forme. Esquisses confuses, évanescentes semblant s’être prises au jeu hésitant de leurs métamorphoses, ils adviennent et se diluent, d’un même mouvement se déploient et s’enfouissent. Ils se nimbent de lumière puis s’obscurcissent, se font et se défont, vivant déjà pleinement le cours de leur effacement.
Quelle part du visible serait-elle masquée à nos yeux, à notre écoute ? Le mort saisirait-il le vif dans un déroutant face à face avec nous-même ? Entre eux et nous – entre le caché et le manifesté –, toute une profondeur de secret.
Ces « personnages » , animés d’un incompréhensible dessein, captent notre regard. Ils font corps avec le ciment, mais ne peuvent trouver de séjour sur les murs. Fruits d’une longue maturation, ils étirent leurs lignes en silence entre les lézardes murales, les failles de l’ombre et de l’oubli, et ce jeu d’écoulements et glissements trace à travers les accidents des matériaux leur autonome et fugace destinée.
Une vie émergente inscrit ses traits mouvants, incruste des trames nerveuses en états transitoires et larvaires, souvent au prix d’une excessive dramaturgie. On peut y entendre le cri de perdus, de pendus, dans le sillage de Jean Fautrier et de Zoran Mušic, y voir des élancements funambules à la façon d’Alberto Giacometti ou des silhouettes aux figures brouillées à la Francis Bacon. Mais l’on s’égarerait vite dans la facilité apprise de nos images – comme ils n’ont pas de regard, nous leur prêtons le nôtre.
Discrets et anonymes, mais fortement individués, ils ne représentent rien et restent muets sur leur histoire. Ce sont des essais de corps en quête d’une face, des traces bizarrement « aformelles » à la recherche d’un improbable visage, les ébauches d’un rictus, d’une grimace, d’un sourire ou d’une larme.
Allant de nouveau vers eux, c’est souvent une nouvelle rencontre quand nous découvrons avec étonnement les variations et expansions erratiques de leur énigme. Indécidables et instables, frayant leur chemin avec lenteur parmi la maçonnerie, ils nous deviennent familiers. Et si éloignés de nous, malgré leur altérité radicale, ils savent nous ressembler.
Excédant toute image arrêtée, ils sont pour nos yeux le murmure inarticulé de l’invisible.
Dans leur entre-monde, en leur dénuement, du fond de leur sereine mais trouble mélancolie, depuis leurs métamorphoses silencieuses et lignes de fuite de leur devenir, ils n’ont pas l’expression de qui voudrait être quelqu’un, et s’adressent à personne.
La base sous-marine de Saint-Nazaire
Un étrange patrimoine entre mémoire et devenir
Bernard Neau (texte inédit–extrait)