Les portes

Les portes déshéritées, à l’écart de plus pimpantes et repeintes le long des voies commerçantes, convient le désir paresseux des rêveurs à étirer dans leur suite des kilomètres de ville mentale…

Portes en déshérence avec leurs craquelures, leurs lézardes, leurs poignées mangées de rouille. Portes rugueuses et de guingois qui sont des âmes ridées, closes sur leur histoire. Les couleurs passées parlent de leur dénuement, les gonds délabrés de ceux qui ont vécu.

Elles ont connu bien des départs, des retours, comme en témoignent ces grandes planches disloquées avec leurs cadenas et loquets cassés, les anneaux ouverts que le temps a libérés de leurs attaches. Ce sont des carcasses laissées à leur nostalgie d’épaves – après avoir beaucoup travaillé, elles ont mérité un juste repos.

Portes manquantes où l’on devine, au fond d’un couloir, un amas de poutrelles tombées – aucun ouvrier, aucune barque, sinon les détritus déposés par la marée, quelques sacs de ciment sur une marche.

Seuils crevassés, chambranles fissurés qu’éveille un trait de lumière – que signifie leur mémoire rongée par la tendresse et l’exil ? Surfaces écaillées où la vie perdure dans le demi-sommeil du possible, les tavelures de la ferraille, les graffiti. Profondeurs ancestrales où le hasard et le temps ont tramé pour nos yeux des veines et des sillons infinis de rêverie…

Extrait du livre « Venise, miroir des signes », Ed. Terre de brume, 2002

Venise (1987-2002)

Galerie photographique

Photos de Jean-Pierre Buffy & Bernard Neau