Le monde des arbres
Entre terre, ciel et eau, l’arbre est le seigneur des intermondes, l’intercesseur auquel nous devrions ressembler. Nous lui sommes redevables d’apporter, au plus proche de la cité, une respiration pour les êtres dénaturés et dépoétisés que nous sommes. Si peu qu’on observe vraiment les arbres en communauté – qu’ils soient en jardin, parc, bois ou forêt -, il est difficile de ne pas s’apercevoir que chacun est un individu, a sa personnalité propre. Sauvages ou domestiques, ils sont les complices discrets des animaux. Leur présence réconforte notre inquiétude, et l’on sent bien qu’ils sont là pour assurer notre survie.
Qu’ils appartiennent à l’espèce des hêtres, cèdres, chênes multiséculaires, saules ou bouleaux pleureurs, les arbres sont les grands marqueurs des saisons et proposent à notre imaginaire un monde analogique : rides, veines, cernes du temps ; axis mundi, verticalité totémique ; expansions contrôlées ; repères tels des amers fixant les distances ; orientation des branches calculées ; communication entre eux depuis les racines -, tout ce qui relève des plus profondes projections de l’humain.
Qu’ils retombent en chevelures sur l’eau ou élancent de longs bras dans l’air, les arbres ramifient l’espace des racines jusqu’aux nuages, et cette vision attentive s’intériorise, s’incorpore à la mémoire de notre espèce.
L’écorce qui les protège, comme la peau délimite l’homme, offre une lecture tactile de la nature – l’intervalle entre la main et l’écorce touchée ouvre sur une autre dimension du réel, quasi sacrée.
Dépecés, ils vivent encore pour nos mains, nos yeux, notre bonheur, en crayons, sculptures, tables, maisons, bateaux… Et si les hommes coupent leurs troncs, si les hérons étêtent leurs cimes, ils n’en sont pas moins des corps vivants avec toutes les qualités de l’esprit, nous renvoyant à notre conscience du monde, trop souvent égarée.