Émotions murales
Murs soutenant cette vaste carcasse chargée d’une histoire douloureuse, aujourd’hui rendus à leur souvenir de sable, de gravats, de ferraille, qui n’ont rien d’autre à attendre que les métamorphoses imprévisibles dues au suintement ambiant, à la main d’un maçon, au tag rapide d’un passant.
Surfaces mates ou luisantes qui se lézardent, se fragmentent, s’effritent. Il faut s’approcher de leur mutisme, de leur dimension obscure, savoir laisser nos yeux errer sur les parois, les poteaux. Alors, peu à peu, leur mutisme se délie dans de multiples propositions échappant à la fascination du figé et l’on a de l’empathie pour ces murs sacrifiés et maudits.
Il y a, partout visibles sur les murs des alvéoles, les indices du travail conjugué des éléments, des saisons, et ce vieux corps de béton, qui lentement se délabre, se recompose en des beautés discrètes.
Dans cet espace restreint, ouvert aux mondes de l’air et de l’eau, quelque chose vibre et respire malgré la nécrose des matériaux. Des motifs s’appellent ; les couleurs semblent des remontées de matière suite à une longue alchimie ; les formes finissent par émerger d’une solution confuse, et ce change matériel s’opère en mutations subtiles. Comme si, de cet élémentaire travail, devait résulter – à partir du partiel, du fragmentaire – une infinité de possibles.
Retour du magma originel sur la volonté forcenée d’enfermement militaire. La forme éphémère va au regard, lui demandant d’en inventer la lecture.
Ces murs soulignent le paradoxe humain : plus il y a volonté d’accumulation/élévation/condensation du temps et de l’espace, plus l’humain s’éloigne de l’élémentaire équilibre du vivant et de la terre habitable.
S’ils ne se prêtent en rien au vague à l’âme d’une romantique rêverie des “ ruines ”, s’ils n’ont plus vocation à défendre, interdire la vue, enfermer le paysage, si leur survie dépend de la mauvaise ou bonne volonté des hommes, ils savent leur mémoire ouverte aux vents de tous les possibles, et sont les miroirs révélateurs d’une beauté non pas perdue mais en quête d’un devenir inattendu.
Ce qui arrive et se joue sur leurs surfaces, ils le reçoivent et l’intègrent en le transformant, et ce qui n’advient pas encore, demeure dans une attente silencieuse. Comme un substrat d’images endormies dans un fond nocturne de la matière qui ne demanderait qu’à émerger dans la clarté…
La base sous-marine de Saint-Nazaire
Un étrange patrimoine entre mémoire et devenir
Bernard Neau (texte inédit–extrait)