La cascade
Dans l’Île de Versailles, à intervalles réguliers durant des années, j’ai observé la cascade tandis que, au fil des aspersions pour les pieds et des arcs-en-ciel pour les yeux, s’égrenaient dans ma tête quelques notes de haïkus.
D’entre les quatre saisons s’imposèrent les ambiances pâles et roussies de l’automne. Étrangement, les images des trois autres que je recueillais, probablement en raison de la qualité de lumière, n’avaient pas la même force – sans doute trop d’éclats intenses pour ce milieu explosif.
Parfois s’ajoutait l’eau du ciel. Des teintes de bistre et de gris profonds apportaient des nuances plus chaudes à ce paysage mouillé de novembre aux fades couleurs.
Ces élans arrêtés de la chute d’eau, cet écoulement vertical de la rivière s’achevant dans un bouillonnement ainsi figé par le regard photographique, captent quelque chose d’une essence du mouvement qui paraît s’inscrire dans une idée d’immobilité éternisée, de permanence. Et si j’ai passé de longues minutes à la contempler, c’est que j’espérais secrètement saisir par ces études d’infimes variations le tempo même, précis et coloré, de « l’instant cascade ».
Cela ne va pas sans une certaine mélancolie. Au-dessus de la cascade, un arbre dresse vers le ciel ennuagé ses grands bras dans un silence décharné. Des enfants s’approchent furtivement de la chute d’eau avant de s’égayer dans le jardin ; des amoureux bravant le temps chagrin sous un petit crachin s’attardent un moment sur les dalles éclaboussées. Au cœur de l’automne, dans le vent frais, la cascade est une solitude habitée qui n’est jamais complètement triste.
Alors, comment ne pas penser ici, près de l’eau, au mono no aware japonais (物の哀れ) – le si léger, délicat, sentiment poignant des choses, lorsque le moindre détail du monde observé devient comme une confidence intime proposant au regard notre meilleur mode de disparition en écho du sien.