La mangrove
En amont du pont de la Tortière, du côté des Facultés et de Port-Boyer sur la rive gauche, s’étend une « mangrove », une réserve chaotique et marécageuse composée d’humus, de vases limoneuses, de décoctions végétales, d’arbres abattus.
Un sort de caractère sauvage semble avoir interdit l’accès de ses sols mouvants, assez dangereux. Les périodes de sécheresse permettent de s’y risquer à condition d’avoir des bottes. On y trouve un paysage aquatique et végétal dépeuplé dont on ne sait s’il est définitivement pourri ou matriciel.
Dans cet univers boueux, des souches dressées comme des totems, des zones visqueuses taboues où l’on peut s’engluer, de vieux chênes grimaçants et couchés, relèguent au loin vers la ville ou la rivière les chants d’oiseaux, le son saccadé des rameurs, le bourdonnement des moteurs. Car il n’y a plus rien d’humain et d’animal dans ce no man’s land – les grèbes, les poules d’eau, hérons et ragondins vivent en lisière de ces zones désertées. La part du visible est faite de désordre, de bois enchevêtrés barrant le passage, tandis que l’invisible est hanté de silences inquiétants.
Mais tout dans ce paysage effondré et spongieux n’est pas si confus ou étouffant – en bordure de cette pseudo-mangrove, apparaissent des éclaircies et de rares mares tranquilles à l’esprit bucolique qui apportent une sorte de respiration.