Les lumières et les heures
Le matin, les ombres sont calmes, patientes, comme les promeneurs sur les ramblas le long de l’eau, les pêcheurs assis au bord des pontons.
Les murs du Grand Bassin s’illuminent sous les reflets ; les éclats du soleil sur les chambranles métalliques, les parois et les plafonds, allument des feux follets ou s’éparpillent dans une lente neige de lumière. Puis passe un bateau, un nuage, et tout s’éteint…
Le soir, à la belle saison, le soleil pénètre dans les entrées ouest des alvéoles. Les murs s’embrasent, le sol orangé vire à l’écarlate ; les ombres marquent leur territoire.
Quand elles allongent leurs lignes, s’étirent sous l’action du feu, on peut suivre les glissements subtils de leurs seuils, et le jeu complice – de l’ombre, de la lumière – devient égal. La lumière incendie les surfaces ; le grain des matières devient indistinct et brûlé ; les zones d’ombre se densifient et gagnent en nuances.
La lumière vide les formes qu’elle illumine ; les ombres modèlent leurs contours. Comme si le négatif était la pleine lumière et l’ombre le positif, sans que rien ne soit soustrait du visible.
La nuit, des halos bleus côtoient des luminaires jaunes. Cet éclairage bleuté rappelle le temps des forçats qui devaient travailler la nuit…
Les murs semblent plongés dans une veille assoupie, d’amples surfaces sont éteintes, mais quelques surprises émergent de l’artificielle clarté.
Les espaces vides s’emplissent de lueurs de silence. Et dans leurs niches solitaires, des fragments de mémoire offrent un autre visage qui approfondit le mystère.
Les pontons vibrent sous les pieds des flâneurs. Au loin, les rumeurs du port, de la ville. Les paroles et le bruit des voitures se détachent avec netteté.
Les lumières et les ombres, le silence et les sons, l’eau, les murs, les nuages, les saisons, se sont enfin rejoints. Et nous les recevons dans la résonance de nos pas…
La base sous-marine de Saint-Nazaire
Un étrange patrimoine entre mémoire et devenir
Bernard Neau (texte inédit–extrait)