Désert

Tous ces paysages en nous ramenés du fond du regard.

Ces moments de sensation inouïe, d’envahissement jusqu’à une forme de plénitude. Sensation d’être relié à tout, à la totalité du monde. Pas l’ébloui – une lucidité comme transparente ; le corps traversé ; ni dedans ni dehors, ni surface ni profondeur, une fluidité éternisée dans sa durée, corporelle et mentale – le séparé tombe. Nous participons à la sensation entière de l’espace intelligible – notre regard semble découvrir celui du monde.

Comme si une note des plus vivantes, étirée depuis le corps-instrument, sculptait dans l’air et la lumière la matière vibratoire du silence.

Comment parler de ces états ? Quasi impossibilité d’en rapporter le caractère absolu et immanent, d’en évoquer la calme ferveur, la jubilation quiète, tacite. Difficulté d’en restituer la qualité d’expérience par les mots, d’en fixer des échappées.

Un « séjour divin » ? – un lieu vide, où faire le vide, certainement. Une conscience très profonde du monde marquée par son mystère. On se sent enfin RE-LIÉ à la terre, au ciel, à l’univers, tirant son souffle de cette nature aride qui fonde notre solitude.

Du sable et des cailloux dans un impitoyable éclat, une beauté terrible. Est-ce dicible ? On marche dans du rêve – une échancrure du réel, dramatisée par notre calme et inquiète folie. La lucidité se voit brûlée d’une évidence sidérée. Et les sens brouillés, sitôt quitté ce vaste et âpre théâtre, nous font toucher du doigt l’impossible même comme pour éventer nos mirages.

Il n’y a pas de chemin dans le désert, comme sur la mer. On y trace concrètement sur une carte des routes mentales, immatérielles, où s’engager – notre intuition du chemin étant notre seconde boussole.

Le désert ne propose de sa lumière que les signes du vent. Rares sont ses habitants, comme leur parole. Si le silence est plus précieux que l’or blanc, c’est qu’il se voit traversé par l’air chargé de sable, mais les yeux sous le voile ne trahissent rien. Torpeur, alentissement général – la vitesse est un signe du diable.

Seuls dans le silence, on se salue assis, ne se disant jamais « adieu » car le destin est le mot du dieu traversant toute parole. Alors, comme il se doit : « ça va toujours ». C’est assis que l’on parle, ou ne parle pas. Nul besoin d’insister sur le merci ; la gratitude est une vertu de juste distance, une forme de politesse du monde, implicite et morale. Et ceux qui dérogent à la règle, on en sourit et les cantonne dans leurs effusions et bruissements agités.

Les pistes qui s’ouvrent vers cet infini de pierres et de sables forment une géographie intime où la confrontation à soi est notre horizon temporel. Nous avançons dans notre humanité parmi les bruits proches d’insectes, le son du sable qui roule sous les vents – l’antéhumain parle le langage primordial de l’espace et du vide, et la tentation de parler, née d’une solitude extrême, vient de ce que l’on veut donner une dimension humaine ou divine là où il n’y a RIEN, simplement et radicalement rien, ou si peu de nous-même.

Notes sur En amont de l’oubli, 2008-2012, inédit

Sahara – Alger (1981-2003)

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